mercredi 25 juin 2008

L'ennui et le beau

L’Ennui et le Beau

Un soleil suffisamment rare pour être remarqué se fraie un chemin matinal à travers ces pitoyables stores dont le mécanisme soubresautant résiste immanquablement à mon acharnement giratoire. Jus d’orange, couche, biberon, dans l’ordre, pour préserver mon équilibre psychodorsal, et je laisse la pitchoune à ma mère pour remplir mes obligations de surveillance bachelière, armé d’une indifférence et d’une ponctualité royales.

L’ennui, comm’ le quai d’une gare
L’ennui, comme un film de Godard
L’ennui,
C’est la bouche pâteuse au lever le matin
L’ennui,
C’est une fête pieus’ sans bouteilles de vin
L’ennui, dix sept élèves qui composent
L’ennui, de la poésie à la prose

« - Copie ?… - Brouillon… - Vert ?...- Mmh…. (acquiescement de la tête) »
Richesse inouïe du contact humain : un mot seul suffit quand le verbe s’éteint. Que dis-je, un mot ? Un signe, un geste, de la tête ou de la main.
La composition colorée de la salle joue un rôle essentiel dans la prévention de la fraude à l’aube de notre ère post-moderne. Il est donc primordial que tout élève doté de feuilles de brouillon vertes ne soit entouré que d’élèves à brouillons jaunes et vice-versa – ce qui se décline bien sûr à toute paire de couleurs suffisamment distinctes au bénéfice de la santé mentale des enseignants. Le travail de l’artiste-surveillant consiste alors à préserver à tout prix le somptueux mais fragile quadrillage ainsi constitué. Imaginez une seconde la catastrophe esthétique et frauduleuse qui pourrait naître d’un moment d’égarement coupable…J’en frémis…

Une crinière blonde aux teintes orangées,
Une bouteille d’eau sur sa table posée.
Le portrait me revient de l’une puis de l’autre,
Mon regard va et vient de cette une à cette autre
Ce n’est pas le dessin des traits – que je ne vis –
Mais un beau mouvement d’ensemble me surprit.
D’une écriture folle à l’élan saccadé,
Elle fit d’un seul coup la table s’ébranler.
Malgré ce tremblement, de funeste présage,
La bouteille ne vit aucun bas paysage,
Mais – plus frivole – l’eau dans l’hautain récipient
Se mit, elle, à frémir comme mer sous le vent.
Infime vaguelette au soleil exposée,
Etincela bientôt de mil feux enlacés.
Tous ces jeux scintillants projetés au plafond
Subjuguèrent l’ennui dont je fis l’oraison.
Contraste saisissant, insolente, immobile,
La bouteille jamais ne prit part à l’idylle,
Mais ses courbes de femme au pinceau caressées
Se gravèrent en moi, spectateur fasciné.
Car dans sa pureté transcendée par le jour,
Elle était bien semblable à ces fruits de l’amour,
Et sous son bouchon rouge, au vif éclat de lèvre,
On pouvait entrevoir le travail de l’orfèvre.

Aux reflets des vitraux, en cet instant unique,
De l’ennui et du beau, une problématique
Se révéla soudain à mon âme d’esthète
Bousculant sans égard les idées toutes faites.
Comment aurais-je pu ainsi toucher du doigt
L’éphémère beauté dévoilée devant moi
Si j’eus été distrait par une occupation
M’arrachant brusquement à la contemplation ?
Ennui, à travers toi aujourd’hui il émane
De cette eau étoilée à l’ornement diaphane
Un soupçon d’infini, une lueur d’espoir
Qui me tiendront, j’espère, éveillé jusqu’au soir.

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