lundi 24 décembre 2007

Le jour le plus court

19° au zénith, c'est l'angle que faisait le soleil avec l'horizon en ce jour de noël. Bien peu de choses mais quelle magie pourtant quand on prend vraiment le temps d'en profiter, en forêt bien sûr...La brume s'estompe à peine quand j'arrive à grand fracas de techno sur la route cahoteuse qui me mène aux gorges de franchard. Rapidement envahi par la poésie du moment, j'éteins la musique à l'instant même où une famille de sangliers surgit à mon grand étonnement à 50m de ma voiture. Puis le silence total, envoûtant, le soleil est au zénith, il donne pourtant l'impression d'être tout juste levé, comme moi ;). A travers la brume légère, ses rayons jouent à cache-cache avec l'ombre des arbres. Ils paraissent tellement palpables !! ondes ou photons? jamais la théorie corpusculaire de la lumière ne m'est apparue plus séduisante. Je vois comme le fantôme d'une mariée qui étendrait sa robe immaculée sur une forêt de convives squelettiques immobiles. Quelques oiseaux, seuls convives animés de cet étrange décor, gazouillent timidement, pour se réchauffer peut-être... Plus rêveur que grimpeur, j'entame péniblement un semblant d'échauffement avant de m'attaquer à la maîtresse ligne de "miséricorde" qui arbore fièrement sur les hauteurs de la butte sa fabuleuse arrête taillée au couteau. La température me paraît idéale (1°) après les séances de grand froid de la semaine dernière, je me sens en bonne forme et après 1h30 de haute voltige, j'arrive enfin à réaliser la moitié du premier pas du bloc mythique. Entre satisfaction et découragement je redescends dans la vallée m'asseoir aux pieds de "côté coeur" dont la forme amoureuse dissimule cyniquement une escalade teigneuse et traumatisante. Le voile de la mariée s'est envolé, les rayons du soleil se diffractent maintenant à mi hauteur d'une rangée d'arbres quasi infinie comme le regard mystérieux d'une femme à travers ses longs cils recourbés. L'humidité et le froid commencent à s'abattre lourdement sur le fond des gorges et mon corps, semblant suivre la courbe déclinante du soleil, me renvoie en suppliant le reflet pâlissant de mes dernières forces. Je n'ai pas déjeuné comme cela m'arrive souvent en forêt et les quelques gorgées d'eau que j'avale ne suffiront bientôt plus à empêcher ma bouteille d'eau de geler. Je résiste pourtant, par plaisir? par masochisme? par habitude? qui saura...Des crevasses rougissantes, ennemies ultimes du grimpeur, se dessinent à un demi centimètre du bout de mes doigts : un demi centimètre, la taille de la prise sur laquelle je m'acharne depuis plus d'une heure maintenant. Mais les sensations me viennent peu à peu et il me reste un infime espoir de comprendre le premier mouvement du bloc avant de m'effondrer. Et d'une façon toujours aussi soudaine et incompréhensible, l'alchimie se fait, malheureusement je chute au deuxième mouvement presque aussi monstrueux que le premier. Au bout d'une ou deux minutes, j'y retourne vaillamment mais au moment où je pose mes doigts sur le rocher je vois la fontaine de sang qui jaillit de mon index gauche, la séance est terminée. Aucune douleur bien sûr, en trois heures le froid a complètement anesthésié mes doigts. Je remonte vers mes affaires, au loin les fougères défraîchies accentuent la teinte orangée du soleil couchant, seules les hauts des cimes brillent encore de milles feux. Deux mouvements en une séance, il faut savoir accepter les échecs pour accéder aux grandes victoires. Je range mes affaires : un crash pad sur le dos, mais je n'ai plus la force de porter le deuxième. Je le traîne paresseusement derrière moi, de temps en temps il se prend dans les racines stoppant net ma course effrénée vers la chaleur réconfortante de ma voiture. Le sang sur mon doigt a gelé plus qu'il n'a coagulé mais j'arrive enfin à la voiture et j'engloutis avidement la salade de fruits que m'a gentiment préparé ma chère compagne. J'allume le contact puis la meilleure cigarette de ma vie. Sur le chemin du retour j'observe amusé l'ombre gigantesque de ma voiture qui balance de droite à gauche au gré des virages comme un pantin dont on tire les ficelles. Parfois je la vois sur le côté, je peux même distinguer ma silhouette qui se heurte frénétiquement à la végétation sur le bord de la route. J'omets volontairement quelques détails de mon retour qui pourraient vous effrayer, mais bon on ne vit qu'une seule fois même quand on a plusieurs vies : seuls quelques radars béants freinent ponctuellement mon élan, armes sournoises mais ô combien dérisoires d'une autorité que je méprise tel un Lupin anarchiste et aristocrate à la fois. La vie est de plus en plus dense à l'approche de Paris et il en est de même du trafic, je me retrouve dans une cohorte ininterrompue de voitures qui roulent tristement à 110 avec un effet soporifique plus dangereux encore que ne l'est pour moi l'ivresse de la vitesse. Je pense à Lauriane qui craint toujours que le conducteur ne s'assoupisse, ça me fait sourire avec tendresse et me maintient éveillé, comme d'habitude, combien de fois m'aura-t-elle sauvé la vie... Bientôt nous serons chez mes parents pour fêter Noël certains chanteront faux d'autres chanteront juste mais tout le monde chantera, même moi, pourtant Dieu sait que je ne crois pas en lui ;)
Joyeux Noël à tous,
Louis

samedi 15 décembre 2007

Du septième ciel au huitième degré

Le miroir se brise enfin, 7 ans de ... labeur. 7 ans de souvenirs qui affluent en 30 secondes, de rêves en espoirs, de souffrances en doutes. 7 ans d'obsession jours et nuits sans relâche : 10 à 20 heures d'entraînement par semaine, mes débuts en 2000, mes premiers pas dans le 7a en 2001, jusqu'à mon premier 7c en 2007. Les séances de muscu interminables avec marco où l'on finissait à moitié dans les pommes, les chutes de 5-6m dont on se relève miraculeusement en un seul morceau, les semaines entières passées sur un mouvement qui finit par rentrer ou pas, les lignes inachevées qui vous tordent le ventre de frustration, les lignes sublimes qui vous mènent au septième ciel, les matins d'hiver glaciaux et solitaires, les longues journées d'été entre potes, les blessures incessantes aux doigts, au dos, au coude, aux cuisses, aux épaules et j'en passe. Une très longue histoire pour un seul objectif enfin réalisé : mon premier 8a bloc aujourd'hui même. Quasiment toute la difficulté du monde concentrée en un seul mouvement, une demi seconde à peine : il se nomme "la balance", sans la prise taillée. initialement le bloc avait été ouvert avec une prise taillée et cotait "seulement" 7c+, la solution sans la prise taillée en départ sauté à deux mains a été trouvée peu après ajoutant une certaine part d'aléatoire et de coordination, la dégradation des prises avec le temps aidant, la cotation a été évaluée à 8a ("petit" 8a certes mais vrai 8a). Bon je suis trop épuisé pour vous raconter plus en détail le récit de cette journée épique et mon histoire d'amour avec ce bloc. Mais vous pouvez jeter un coup d'oeil sur bleau.info mon nom s'y trouve en première page (que d'orgueil, pardonnez moi)voilà, je ne vous embêterai plus jamais avec mes histoires de grimpe, fini le chiffre 7, vive le 8 : mon premier 8a et puis ... 2008 la naissance de notre pitchounette, il est temps de passer à un numéro "père" :)

lundi 12 février 2007

un élan de tristesse

l'histoire d'un jour qui devait être le bon, lever 7h pour aller en cours, un rapide coup d'oeil sur la météo : éclaircies et averses dans l'après midi. Ça fait 10 jours que j'attends une ouverture pour concrétiser un rêve de tristesse, les derniers essais avaient été plus que prometteurs malgré des conditions d'adhérence médiocres. 8h-11h cours de chimie, le sol est trempé à 8h (c'était prévu) mais le vent fait rapidement son oeuvre et je vois de ma salle l'humidité s'en aller peu à peu au grand étonnement de mes élèves qui se demandent pourquoi j'ai le nez collé à la fenêtre. Les mains sont moites et le coeur bat à 5000. 11h quelques formalités à régler puis je file chez moi me changer, avaler un sandwich et vroum... je dois être de retour avant 18h, j'ai une réunion parents profs importante. 13h j'arrive à bleau, les blocs sont secs comme je l'espérais. Sans même prendre le temps de me chauffer je me jette sur tristesse. Le bloc est grand (9-10m) le bloc est imposant, le bloc est majeur. Deux mouvements extrêmes sur 4m font toute la cotation du bloc (7c), le reste en 6a maximum n'est qu'une histoire de calme. Je n'ai jamais réalisé le deuxième mouv mais je maîtrise le premier. Je suis seul, il y a du vent et j'ai froid. Il me faut dix bonnes minutes et 5-6 essais pour refaire le premier mouv. 20 minutes environ et une dizaine d'essais encore pour me mettre dans la position pour engager le deuxième. Et là le drame, une petite bruine vicieuse a commencé à mouiller la prise clé et je paie cash : énorme chute imprévue au pire moment, heureusement je connais bien la position des obstacles au sol et je réussis à éviter une grosse pierre au risque de me casser un bras. La pluie ne tombe plus, mais le vent gronde de plus belle, je suis un peu choqué, je retape un essai sans conviction : j'ai peur. Dépité je passe à un autre bloc (bas) pendant 45 minutes environ sans succès, le moral n'y est plus, je m'en retourne à mes affaires qui traînent avec humilité aux pieds de tristesse. Allez un petit rayon de soleil, ça mérite bien une dernière tentative. La prise est sèche, je sens mes doigts s'agripper avec force et j'arrive à engager le deuxième mouv sans succès mais c'est bon pour ce que j'ai. On est reparti pour quelques runs, ça progresse, plus que 10 cm, plus que 5...je crie, je hurle, la frustration et l'envie irrésistible me regagnent. Et soudain un instant de magie, j'envoie ma main gauche au bout du monde et ça tient, l'émotion est énorme, cette impression d'aller là où peu d'hommes sont allés (certains des tous meilleurs grimpeurs du monde se sont cassés les dents sur ce bloc). La suite je me la suis faite dans ma tête des centaines de milliers de fois, je connais chaque mouvement, j'ai lorgné chaque prise et je progresse sans réfléchir: 5m, 6m.... une prise est sale, je réfléchis, je doute, donc je ne suis plus. Ce qui ne devait pas arriver arriva : je commets l'erreur de regarder vers le bas, j'aperçois, minuscule, mon crash pad au milieu des pierres. Si je glisse sur cette foutue prise c'est la chute, je risque très gros, si je saute je peux viser mon crash et survivre. Le mouvement à faire est d'une simplicité enfantine pourtant je n'hésite même pas : le vent, le froid, la pluie ont eu raison de mon courage, je saute. La chute est très très rude mais bonne, je m'en remets doucement mais la pluie s'invite à nouveau, un dernier essai pourri puis l'averse fatale. Les cordes tombent du ciel, il est4h je dois rentré. Un rêve naît et puis s'en va. à plus les amis, quelle tristesse!!

ndla : 5 jours plus tard le 17 février 2007, j'enchaîne enfin tristesse. La photo ci-dessus a été prise par un ami le jour même : il s'agit du fameux deuxième mouvement, main gauche au bout du monde.